mercredi 17 octobre 2012

Comment communiquer aux enfants le goût de lire ?

Quelques animations lecture pour les aider à mettre le pied à l’étrier

Ce qu’est lire, ce qu’est être lecteur

« Je me souviendrai longtemps d’un temps où je ne savais pas que j’étais jeune. Je vivais mon soleil d’aventure de jour ou de nuit sans frustration aucune. Les livres que je lisais ne m’appartenaient pas, mais cela ne m’empêchait pas de les aimer et d’en prendre soin comme si je les avais achetés moi-même. Ils étaient tous des amis rencontrés au hasard de ma soif de connaître. Des amis qui, page par page, m’ouvraient les yeux sur la merveilleuse étendue du champ de la vie. Des amis cent fois préférés au maître d’école -« Monsieur Max »- avec son allure de brutal dictateur, et son tableau noir, et sa règle en bois dur tapant fort sur les doigts des élèves, et sa chicotte en rotin noir qui faisait si mal aux fesses, et ses multiples punitions distribuées généreusement pour un oui ou pour un non. » Francis Bebey, Lectures buissonnières, in Amabhuku. Illustrations d’Afrique, La joie par les livres, 1999.

« Mes premières lectures ressemblaient à de premières amours, j’attendais avec impatience et ardeur l’heure des retrouvailles.» Stephanie Blake, Soulever un cheval… in Lire est le propre de l’homme, éditions L’école des loisirs, 2011.

« J’avais quatre ans et je réclamais sans relâche qu’on me relise cette version (très) abrégée des Misérables. Plus tard, j’ai rencontré une petite fille aux allumettes, Edmond Dantès, Fantômette et Jo, la garçonne des Quatre filles du docteur March. Ils m’ont appris le courage, le goût de la justice, l’audace, la rêverie. Je les considère comme des membres très proches de ma famille, qui m’auraient transmis leur expérience de vie et auraient façonné ma conscience, enrichi ma sensibilité. » Valérie Zenatti, Des rencontres qui façonnent une vie, in Lire est le propre de l’homme, éditions L’école des loisirs, 2011.

« Tu ne peux pas faire semblant de lire un livre. Tes yeux vont te trahir. Ton souffle aussi. Quelqu’un qui est fasciné par un livre oublie tout bonnement de respirer. La maison peut prendre feu, le lecteur plongé dans un livre ne lèvera pas les yeux avant que le papier peint ne s’enflamme. Pour moi, Matilda, De grandes espérances est ce genre de livre. Il m’a permis de changer ma vie. » Lloyd Jones, Mister Pip, éditions Michel Lafon, 2008.

La lecture permet de se constituer une « première réserve de songes », Sartre, Les mots, éditions Gallimard, 1987.

La lecture permet « d’être transporté dans un univers inconnu », Bettelheim et Zelan, La lecture et l’enfant, éditions Laffont, 1983.

A la lecture de ce qui précède, lire, ici, n’est pas une simple opération qui consiste à déchiffrer le sens d’un texte, mais comme l’écrit Christian Poslaniec dans Donner le goût de lire (éditions du Sorbier 2001), « une création de sens par le lecteur, jusqu’à l’appropriation totale, le cas échéant ». Dans le même ouvrage, il explique que « Donner du sens à un texte, lire, c’est une opération dans laquelle le lecteur particulier est aussi important que le texte lui-même ; c’est un dialogue entre l’imaginaire [du lecteur] et ce dont le texte est porteur, par le récit, par les personnages ou par le style »

Cette lecture-plaisir-ci, on peut en faciliter l’accès à des non-lecteurs par une approche pédagogique visant à leur communiquer « le goût de lire ». Ce que l’on sait sur l’acte de lire suffisant à justifier la mise en place d’animations lecture, comme approche pédagogique, efficace, pour aider les non-lecteurs à aimer lire. 

De l’efficacité des animations lecture

Le constat est clair : si la présence d’une bibliothèque à l’école fait lire les lecteurs, elle ne fait pas lire les non-lecteurs. Pour cette catégorie d’enfants qui ne vont pas spontanément vers le livre, des enquêtes montrent que s’ils avaient vu lire par plaisir un de leurs parents, ou bien avaient été incités à la lecture par un enseignant ou un camarade de classe, leur rapport à la lecture aurait été tout autre.  Il est à noter aussi que faire  « une rencontre cruciale avec un livre, un genre, un thème, un personnage, un style » comme l’écrit Christian Poslaniec, favorisera le passage à l’acte de lecture-plaisir.

Comme proposer des livres, aussi attrayants soient-ils ne suffit pas, il faut inciter les enfants à les ouvrir, à les lire et à en tirer du plaisir. Des recherches menées à l’Institut National de Recherche Pédagogique (France) sous la direction de Christian Poslaniec prouvent que les animations lecture sont efficaces pour faire lire les jeunes, même les non-lecteurs. Ces mêmes recherches montrent que contraindre les enfants à lire contribue plus à les détourner de la lecture qu’à les faire lire.

Christian Poslaniec définit l’animation lecture comme « une action qui donne vie au livre, lui donne une âme, met en mouvement, les enfants, vers les livres et favorise leur intégration et leur participation à la vie du groupe des lecteurs. » Il  précise : « Toutes les animations ne conduisent pas à la lecture, même si elles donnent vie à autre chose, et permettent l’intégration des jeunes dans un groupe de référence. Toutes les activités de lecture ne sont pas des animations, même si elles prennent en compte les particularités de l’écrit ou les difficultés des enfants à lire ».

Voici les principaux points communs à toutes les animations lecture de Christian Poslaniec :

- Toutes les animations lecture font découvrir aux enfants des livres susceptibles de les séduire et qu’ils ne connaissent pas encore ;

- Toutes les animations lecture laissent la liberté aux enfants de lire. Il n’y a jamais d’obligation ni de coercition à cet égard.

- Toutes les animations lecture se réfèrent à une définition de la lecture commune : dialogue intime entre le livre et l’imaginaire du lecteur, tel que le sens de la lecture soit personnalisé.

- Toutes les animations lecture mettent en jeu une activité qui fait lire immédiatement les jeunes. 

J’ai choisi de parler de deux animations lecture en prenant en compte pour leur sélection les critères suivants :

Elles ne coûtent que le temps et l’énergie que l’on y investit

Elles peuvent facilement être mises en place

Elles sont ludiques

Elles sont très pratiquées, donc ont fait leurs preuves

On peut facilement les adapter à différentes classes d’âge

Les hors-textes 

Sont regroupées sous le titre de « hors-textes » plusieurs activités plus ou moins pratiquées. Ce nom a été donné à ces animations lecture par des enseignants de Martinique où elles sont très populaires.

Les hors-textes consistent à faire imaginer le contenu d’un livre, en se servant d’indications, à l’exclusion du récit lui-même. Voici quelques unes de ces activités, telles que décrites par Christian Poslaniec dans Donner le goût de lire, d’après la brochure Désir de lire ? Plaisir de lire !  publiée en 1988 par le CRDP des Antilles-Guyane.

« Exploitation des indices de couverture et de quatrième de couverture.

L’animateur répartit les enfants par groupe et distribue à chaque équipe  la photocopie de la couverture et de la quatrième de couverture d’un roman.

Les enfants doivent élaborer oralement des hypothèses sur le contenu du livre, et un rapporteur, pour chaque groupe, fait le compte rendu oral de la discussion.

Au terme de cette série d’hypothèses, l’animateur propose les livres en prêt.

Exploitation du seul titre

L’animateur fait tirer au sort par les jeunes un papier  parmi d’autres ; sur chacun est inscrit le titre et le nom de l’auteur d’un livre. Par petits groupes ou individuellement, ils imaginent en un quart d’heure l’histoire du livre. Les hypothèses sont rapportés au groupe et une décision s’en suit. L’animateur peut créer le suspense en indiquent si le récit imaginé se rapproche ou non du livre. Il peut aussi poser des questions.

Pour accroître encore l’intérêt, un même titre peut être proposé à plusieurs groupes ou individus.

Au terme de cette séance, les livres sont proposés aux jeunes.

Exploitation de la table des matières

L’animateur apporte la photocopie d’une table des matières complète ou partielle (sans le titre du roman). A partir de ces éléments, par groupes et oralement, les enfants doivent élaborer une histoire en une demi-heure, en respectant bien l’ordre des chapitres.

Au terme de cette séance, le livre est proposé en lecture (prévoir plusieurs exemplaires).

Exploitation des illustrations

L’animateur propose simplement les illustrations d’un livre, en les présentant directement, ou en les photocopiant. Les enfants essaient de repérer et de décrire le personnage principal et les personnages secondaires ;  les lieux de l’action , les péripéties, le thème du récit. Ce travail est fait oralement. L’animateur peut aussi poser des questions. 

Au terme de cette séquence, le livre est proposé aux enfants  (prévoir plusieurs exemplaires). »

Le point commun

Monique Palcy décrit ainsi la façon dont cette animation lecture se déroule en Martinique où elle est née :

« Il faut prévoir cinq ou six piles de douze livres, dont dix ont un point commun, les deux autres étant des intrus. A titre d’exemple :

- dix livres écrits par des auteurs étrangers (livres traduits) ;

- dix livres dont l’action principale se passe dans un pays étranger (varier le plus possible les pays) ;

- dix livres du même genre littéraire (merveilleux ou fantastique, par exemple) ;

- dix livres où l’on retrouve la même mention sous une forme différente (employer le titre, les illustrations, les personnages principaux et secondaires, les documentaires…) – par exemple : les animaux ;

- dix livres ayant le même thème (guerre, racisme et préjugés, handicaps…) ;

- enfin une pile où le point commun à trouver sera plus difficile, par exemple des livres écrits à la première personne ; des livres qui ont le même nombre de chapitres… cette dernière pile devra être manipulée par tous les groupes d’enfants, alors que les autres ne seront manipulés que par un groupe.

Déroulement : les enfants constituent autant d’équipes qu’il y a de piles (moins une). Chaque équipe reçoit ou choisit sa pile et s’efforce de découvrir le point commun. Les membres de l’équipe se concertent ensuite pour désigner le livre qu’ils aimeraient tous lire ; si l’accord n’est pas possible, chacun désigne son livre coup de cœur. On s’attaque ensuite à la pile commune, qui passera de groupe en groupe.

Une fois les recherches terminées, un rapporteur propose les réponses de son équipe (pour la pile choisie et pour la pile commune) ; le ou les livres coup de cœur sont ensuite montrés et leur choix justifié. Chaque enfant pourra, s’il le désire, repartir avec un livre.»

Pour cette animation lecture et afin de ne pas compliquer les recherches, l’association Promolej, un de ses fervents promoteurs à travers conseille d’insister sur trois consignes au moment de fixer les règles du jeu :

1. Il ne s’agit pas de trouver l’intrus mais le point commun aux autres titres

2. La phrase qui définit le point commun doit être formulée de façon rigoureuse. Par exemple, le point commun peut être « LIVRES ECRITS PAR DES AUTEURS ETRANGERS », ou « LIVRES TRADUITS ». Eviter d’être vague dans la formulation du point commun.

3. Le point commun à trouver est celui que le médiateur a choisi. Les enfants peuvent en trouver d’autres. Mais il est important de dire que pour que cela reste un jeu, le point commun défini par le médiateur est « le point commun à trouver absolument ».

Il convient de souligner, avec force, que pour être efficaces, les animations lecture doivent être multipliés sur la durée.

Expérience de lecture « Les Petites Souris et les Girafes »

Lors d’une rencontre informelle le 05 février 2010 à l’Ecole Maternelle Pierre Grimm de Guebwiller en Alsace (j’accompagnais dans sa tournée Francine Hauwelle, qui était conseillère pédagogique en arts plastiques à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Colmar) les enfants et moi avons mis en place un jeu autour d’un livre pour lequel nous tenons à conserver l’illusion de l’invention. Ce jour-là, après avoir lu, entre autres, l’album Rafara de Anne-Catherine De Boel,  Yacouba de Thierry Dedieu et un documentaire sur l’Afrique, je leur ai lu l’histoire Petit Hippo et son stylo magique dont je suis l’auteur et dont Philippe de Kemmeter signe les illustrations.  Cette histoire parle d’un petit hippopotame à qui son père a remis un stylo magique en lui disant qu’il contenait toutes les belles choses de la Terre. Le petit héros tente en vain de les en faire sortir avec l’aide de ses amis Coco-Tèmbo la poule et Super-Zombo la girafe. Grâce à sa mère, il découvre qu’il peut faire sortir des mots et des images de son stylo, faisant ainsi l’expérience de l’écriture et du dessin. Après cette lecture, j’ai proposé aux enfants de jouer le rôle du magicien qui fait sortir toutes sortes de mots de son stylo magique. Cette proposition les a tout de suite impliqués dans le jeu et chacun y est allé de ses mots à faire sortir du stylo par le magicien. En voici les mots qu’ils avaient commandés et que j’ai conservés depuis sur le papier original : FLASCH, BARBIE, SPIDERMAN, MAQUILLAGE, BEBE, AFRIQUE, GÂTEAU, PLAGE, PISCINE, PISTACHE, ELASTIQUE BRILLANT, PONEY BRILLANT, TABLEAU, SOLEIL.

C’est en hommage à l’enthousiasme et au bonheur de ces enfants que j’appelle notre petite « invention » « Les Petites Souris et les Girafes », les Petites Souris étant ceux de petite section et les Girafes ceux de la grande section  comme si joliment appelés par leurs enseignants.

Les interventions d’écrivains

En 1992, une enquête réalisée dans le Var par le CRILJ montre que si 75% des personnes qui invitent les écrivains à rencontrer des jeunes attendent qu’ils les motivent à lire, jusqu’à 63% des organisateurs estiment ensuite que la rencontre, en ce sens, a été efficace. 

C’est donc une piste intéressante à explorer à condition de bien organiser les interventions. L’écrivain ne vient pas parler de sa vie, mais de son travail d’écriture, de son œuvre, de ses personnages. Aussi convient-il de faire lire les œuvres de l’auteur avant toute venue.

Les interventions d’écrivains peuvent aussi être sous la forme d’un atelier d’écriture au cours duquel les enfants peuvent être amenés à créer leurs propres textes à partir d’autres textes ou d’autres propositions d’écriture. Connaître l’écriture de l’intérieur peut aussi modifier leur comportement de lecteur. Cette activité permet aussi de valoriser l’enfant. Il gagne alors en confiance et peut partir à la conquête d’œuvres plus abouties, l’esprit plus curieux. 

En 2007, un petit recueil de textes crées par des enfants au cours de mes ateliers d’écriture poétique et illustrés  par un couple d’artistes français, Les Guallino, a reçu le Prix Saint-Exupéry Valeurs Jeunesse. 

D’autres textes issus d’autres ateliers d’écriture que j’ai animés ont  été illustrés par des artistes prestigieux, mondialement connus pour certains. Toutes ces activités peuvent amener des non-lecteurs à considérer la lecture autrement.

Relu à Bafoussam le 16 octobre 2012

ALAIN SERGE DZOTAP.

Pour ce travail, l’auteur tient à remercier pour leur soutien, Christian Poslaniec, les éditions l’école des loisirs (Catherine Lemarchand) les éditions Autrement, les éditions du Sorbier (Amélie Cannard, Muriel Chabert), les éditions Nathan (Hélène Daveau, Christian Delépine) et les éditions Albin Michel.


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